Balade yéménite
Octobre 2000, la petite ville de Marib au Yémen. nous sommes trois touristes français accompagnés d'un guide et de deux chauffeurs. Nous attendons la constitution d'un convoi pour nous rendre à la bourgade de Safir. La région n'est pas très sûre et nous devons être accompagnés par des militaires.
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Pour le moment il n'y a que nos deux véhicules et nous devons attendre un jour ou deux pour avoir un nombre suffisant de voitures pour la constitution du convoi. Nous en profitons pour visiter les environs. Notamment un barrage construit vers 1500 ans avant Jésus Christ, situé à moins de dix kilomètres au sud-ouest de la ville, et dont la digue mesure plus de six cent mètres le long. Non loin nous découvrons l'ancienne cité de Marib qui fut la capitale du royaume biblique de la reine de Saba. Le guide nous explique que des fouilles menées au sud de la ville ont permis d'exhumer un temple vieux de 3000 ans, nommé Mahram Bilqis. « Bilqis » étant l'un des noms qui est attribué à la reine de Saba par les arabes. Cette découverte constituerait la preuve de l'existence de la mythique reine.
Le guide nous demande si nous voulons assister à une fête yéménite. La réponse ne peut être qu'affirmative. Il nous conduit vers une importante maison d'où s'échappe de la musique. A l'extérieur des hommes dansent en exhibant leur jambiya, le poignard traditionnel yéménite. La jambiya est couramment utilisée dans les fêtes comme celle se déroulant devant nous. C'est le principal accessoire de la tenue traditionnelle yéménite. L'arme revêt un statut privilégié dans leur culture en ce sens qu'elle est un indicateur du statut social de son porteur. Les plus belles sont portées par des hauts dignitaires. Certaines peuvent atteindre des prix très élevés, plusieurs milliers de dollars d'après le guide.
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Nous sommes invités à pénétrer à l'intérieur de la maison pour boire un thé.. Nous quittons nos chaussures pour entrer et découvrons un petit orchestre composé de quatre musiciens : un joueur d' »oud » (sorte de guitare), un joueur de « mizmar » (clarinette) et deux joueurs de « darbouka » (tambours). On pensait boire un thé mais des gens sont en train de manger un plat de riz au poulet. Assis par terre sur un grand tapis autour du plat communautaire, ils nous font signe de venir partager leur repas. Bien sur il n'y a ni cuillère, ni fourchette. Il nous faut utiliser la main, la droite qui est considérée comme pure alors que la gauche sert aux tâches « hygiéniques ». C'est sympa mais la position du lotus n'est pas mon truc et il est impossible d'étendre les jambes. Rapidement cela devient difficilement supportable. Nous demandons au guide de trouver un prétexte pour quitter le repas sans offenser nos hôtes.
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Normalement nous devons être au complet pour le lendemain. Les chauffeurs ont fait leur provision de qat en prévision de la traversée du désert. Le qat est une véritable institution au Yémen. Dès dix heures du matin, les hommes yéménites se mettent à la recherche de ces petites feuilles à mâcher pour leur effet stimulant et euphorisant, proche des amphétamines. Les feuilles doivent être fraîches et consommées dans les vingt quatre heures. Près de quatre vingt dix pour cent des hommes s'adonnent au qat; même des enfants de moins de douze ans sont concernés. Les mâcheurs sont reconnaissables à leurs joues gonflées.
Ce soir nous passons la nuit dans une auberge traditionnelle, un funduq. Ce type d'hébergement est assez particulier. Il consiste en une sorte de dortoir où des matelas sont installés les uns à côté des autres à même le sol. Quelle intimité, surtout s'il y a des ronfleurs! Chacun s'installe sur un matelas. Heureusement nous ne sommes pas très nombreux, sinon c'est deux par matelas. A part nous quatre, les chauffeurs et le guide, il y a déjà trois voyageurs yéménites. Contrairement à mes craintes, la nuit se passe plutôt bien. Quelques pets, mais sans plus. On nous réveille de bonne heure; les militaires ont décidé de partir au lever du jour.La route se fait sans encombre et dès notre arrivée à Safir nous cherchons un guide bédouin, indispensable pour la traversée du désert Ramlat as Sab'atayn proche de l'Arabie Saoudite.
Pour atteindre la petite ville de Shabwa dans la région de l'Hadramaout, il faut traverser deux cents kilomètres de désert. Il n'y a pas de route. Nous suivons le Toyota du bédouin. Le soir tombe et nous faisons un arrêt pour un bivouac à la belle étoile. Chacun installe son matelas le long de son sac de voyage afin de se protéger d'un éventuel vent de sable. Il ne fait pas froid, le temps est agréable. Le ciel est magnifique et je m'endors la tête dans les étoiles.
Arrivés à Shabwa, nous retrouvons une piste bien tracée. Nous quittons notre accompagnateur bédouin pour nous rendre à Shibam. L'ancienne ville de Shibam est remarquable par son architecture en immeubles de briques de terre de plusieurs étages séparés par un dédale de ruelles. C'est la plus ancienne cité en « gratte-ciel » du monde. On la surnomme la Manhattan du désert. Nous nous rendons directement sur une petite colline surplombant la ville pour assister au coucher de soleil sur la ville. Le spectacle est splendide.
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Le lendemain, une balade dans les petites rues nous permet de découvrir les portes en bois sculpté ornées d'antiques clous en bronze. Et c'est le départ pour rejoindre la ville de Seiyun où nous arrivons en milieu d'après midi. Nous stoppons devant l'imposant palais du sultan de l'endroit transformé en musée. Mais à mon grand regret, il est impossible de le visiter. Il fait une chaleur difficilement supportable proche de quarante huit degrés à l'ombre. Nous n'avons pas trop le courage de visiter la ville. On remet cela au lendemain pour profiter un peu de la fraîcheur toute relative de la nuit.
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Une nouvelle nuit en funduq et un tour de ville. Pas grand chose à voir mis à part quelques anciennes bâtisses. L'intérêt de la ville est surtout sa position géographique sur le Wadi (oued) Hadramaout qui est une oasis de près de cent cinquante kilomètres de long, isolée du reste du monde. La vallée est surnommée la vallée aux millions de palmiers. En parcourant le wadi, on est dans un autre monde de verdure. Le contraste avec l'ocre du sable est saisissant. J'avais perdu l'impression du vert!
Toujours plus à l'est, nous poursuivons notre route vers Tarim. La piste quitte quelques temps le wadi et passe le long de nombreux bordjs (forts) en pisé. En bord de route, des troupeaux de chèvres accompagnés de bergères coiffées d'un étrange chapeau typique de la région. Mais ces femmes sont hostiles vis à vis des touristes et n'hésitent pas à nous lancer des cailloux dès qu'elles aperçoivent un appareil photos.
Tarim. Encore une imposante construction, le palais du sultan. Nous sommes frappés par le nombre de mosquées. Le guide dit qu'il y en aurait une par jour de l'année. La plus ancienne remonte au VIIème siècle. La plus célèbre, la mosquée Al-Muhdar est dominée par un minaret de terre séchée de plus de quarante mètres de haut, le plus élevé du Yémen. Tarim est célèbre également pour ses palais, une trentaine de bâtiments construits dans les années 1900, par de riches familles de marchands de l'Hadramaout.
Nous nous promenons dans la ville. Les gens sont curieux de savoir d'où nous venons. Ils sont souvent hostiles voire vindicatifs en pensant que nous sommes américains. Notre guide les rassurent en précisant que nous sommes européens. Mais on ne se sent pas trop en sécurité et nous nous replions vers notre « funducq » pour la soirée.
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Il est temps de rejoindre la côte et nous prenons la direction de Sif où une fois encore nous passons la nuit dans un funduq. Mais il fait trop chaud et nous décidons, chauffeurs et guide compris, de déménager nos matelas sur le toit de l'immeuble. Le propriétaire n'est pas d'accord. Quelques rials (monnaie yéménite) suffisent à obtenir son accord. Après le dîner, chacun s'installe sur son matelas pour une nuit réparatrice. Nous sommes réveillés en sursaut par la voix du muezzin crachée par un haut parleur situé juste au dessus de nous. Personne ne l'avait remarqué auparavant. Un des chauffeurs descend les escaliers en catastrophe. On s'interroge. Il remonte avec une pince coupante en main et coupe court au chant du muezzin. Je n'en crois pas mes yeux. Un musulman se permettant un tel geste, en plus au Yémen. Ses collègues ne disent rien, pas même une légère protestation pour la forme. Chacun se retourne sur son matelas et nous poursuivons notre nuit jusqu'au lever du jour.
Toujours vers le sud, direction le wadi Dawa'n. Nous traversons des petits villages aux maisons décorées. A un moment, arrivé sur un petit col, le chauffeur stoppe son véhicule. Il farfouille dans le coffre et en ressort une kalachnikov, l'arme et tire quelques coups de feu. J'interroge le guide qui très sérieusement déclare que parfois il y a des enlèvements de touristes par des rebelles à cet endroit. Si personne ne répond à nos coups de feu, cela signifie que la voie est libre et que nous pouvons continuer notre route. On se regarde avec mes compagnons de voyage. Est ce du lard ou du cochon? Mais le guide a l'air tellement sérieux.... Aucun coup de feu en réponse; nous continuons donc notre route vers Al Muk'alla et l'océan indien avec ses longues plages de sable blanc entièrement désertes.
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Puis longue route vers la ville d'Aden où on voit beaucoup de carcasses de chars et de camions, vestiges de la guerre civile de 1994.
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Arrivés à Aden, nous logeons dans l'ancienne demeure d'Arthur Rimbaud transformée en hôtel.
Partis visiter la vielle ville, nous sommes attendus à notre retour par des policiers en armes. Nous nous regardons avec inquiétude. Le chef nous explique dans un anglais que nous comprenons, que nous devons faire nos bagages et que nous devons quitter la ville. Il y a eu un attentat dans la matinée et pour des raisons de sécurité nous devons partir. Il s'agit d'une attaque contre le navire destroyer américain USS Cole. Le navire a été frappé par un bateau pneumatique de type zodiac bourré d'explosifs qui a perforé la coque, tuant dix-sept marins et en blessant cinquante autres. Les deux kamikazes pilotant l'embarcation sont morts aussi dans cet attentat suicide, qui fut revendiqué par Al-Qaida.
Le temps de récupérer nos bagages, deux automitrailleuses de l'armée viennent rejoindre les policiers. Nos deux 4x4 sont également présents, avec chauffeurs et guide. Efficace, la police pour retrouver les gens! Nous quittons Aden dans l'après-midi vers le nord à destination de Ta'izz. Les autorités d'alors avaient une vraie hantise des enlèvements de touristes! Nous partons en convoi, un policier en armes monte dans chacun de nos véhicules, encadrés par les automitrailleuses.
Nous réalisons alors que nous étions les seuls touristes présents et exfiltrés d'Aden. Le convoi attaque la route à vive allure, toute sirène hurlante. Dans les villages, les habitants, sans doute pro-gouvernementaux, nous entendent arriver et nous balancent des cailloux en guise de bienvenue. Plusieurs projectiles atteignent notre véhicule.
Arrivés dans une zone plus calme, c'est à dire entre deux villages, je demande au chauffeur de faire un pipi-stop. Echanges de radios entre les différents véhicules et on s'arrête. J'en profite pour demander au chef d'arrêter les pimpons et d'éviter ainsi les caillassages. Pas de problème, nous poursuivons notre route plus tranquillement jusqu'à destination. Ainsi s'achève cette journée mémorable du 12 octobre 2000.
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Puis direction Sana'a et retour vers l'Europe.
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Depuis le tourisme dans cette région est très compromis et pour combien de temps encore l'accès à ce surprenant pays sera t-il difficile voire impossible ?
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